Ateliers d'écriture #1

Les cahiers de Socrate

Petite transgression de ma part (et en même temps, il s'agit bien de mon blog), cette fois je ne vais pas publier de réflexions d'anthropologie "pure", mais plutôt des extraits d'atelier d'écriture.

Après tout, l'écriture étant une part non négligeable du travail anthropologique, je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas le droit de transgresser dans ce sens.

Donc voici un texte écrit en atelier d'écriture de philosophie. Le but de l'exercice était d'écrire la suite d'un conte indien, dont voici  un extrait ci-dessous:

Les deux branches de l’arbre

C’est il y a longtemps, dans un pays aride,

un très vieil arbre merveilleux.

Sur la plaine, on ne voit que lui,

mais jamais personne ne goûte à ses fruits :

Ses fruits  pourtant si magnifiques, si luisants et si dorés,

le long de ses deux branches,

qui attirent les mains et les bouches

des enfants ignorants.

Alors, on leur apprend l’étrange et vieille vérité :

la moitié de ses fruits est empoisonnée !

Mais tous, bons ou mauvais,

se ressemblent comme deux gouttes d’eau.

Des deux branches en haut du tronc,

l’une porte la mort et l’autre porte la vie.

Mais on ne sait pas

laquelle nourrit et laquelle tue.

Et donc on regarde, mais on ne touche pas.

Après un été trop chaud,

un automne sec et un hiver glacial,

vient un printemps où le gel brûle tous les bourgeons.

La famine envahit le pays.

Sur la plaine désolée,

seul l’arbre demeure imperturbable,

car aucun de ses fruits n’a péri.

Des gens, indécis et craintifs, s’approchent de l’arbre. 

Ils ne savent comment faire le bon choix :

s’empoisonner en goûtant aux merveilles dorées,

ou mourir de faim en n’y goûtant pas !

Après cette discussion confuse, qui va oser ?

Alors un homme, dont le fils ne vit plus qu’à peine,

s’avance et s’arrête sous la branche de droite...

Consigne : « Je n’ai plus rien à perdre, je vais cueillir un fruit et je verrais bien, si je continue de vivre ou commence de mourir… »

 Ecrivez le monologue du vieil homme.

Le vieil homme tournait mille fois autour de l’arbre, ne cessant de cogiter. Il s’arrêtait, levait la tête vers les branches, puis repartait. Ses pensées faisaient autant de tours, que lui-même autour de l’arbre. Il regardait les villageois, un par un, pensif, puis reprenait sa ronde.

« Bien…, pensait-il, je suis le plus vieux de ce village, j’ai vu mille pluies tomber et mille soleils briller sur cet endroit. Il est temps pour moi de laisser ma place… Et puis, un fruit, qu’est-ce qu’un fruit, pourquoi avoir peur d’un fruit ? Mourir du doux baiser d’un fruit juteux, n’est-ce pas une plus belle mort que seul, sur son lit ? Je verrais bien si je continue de vivre ou si je commence à mourir… Le temps qui passe, qui grise mes cheveux, plisse ma peau et courbe mon échine, chaque jour un peu plus, n’est finalement qu’une mort lente jusqu’au renouveau, jusqu’à la fin, jusqu’au début d’une autre vie…

Peut-être que c’est aussi cela le secret de cet arbre ? Non pas le choix entre continuer de vivre, ou commencer de mourir, mais celui entre continuer de mourir ou commencer de vivre ? Que cache ce fruit finalement, si ce n’est une autre sorte de vie ? Si je le mange, et qu’il me tue, c’est une nouvelle vie pour moi, la fin de ma lente mort, et c’est une nouvelle vie pour les villageois, qui ne connaîtront famine puisqu’ils mangeront les fruits de l’autre branche. Si je le mange, et qu’il ne me tue pas, je continuerai de vivre, et donc continuerai de mourir, car la vie n’est finalement qu’un cheminement vers la mort…

Je ne sais pas si je n’ai rien à perdre, mais une chose est sûre est que j’ai tout à gagner, car stagner dans cette indécision aboutira à une mort certaine pour nous tous. Je vais donc fermer les yeux, cueillir le fruit, mordre dedans, et je verrais, si je continue de mourir ou commence de vivre…. »

Ludivine Egounleti